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Guénaëlle Gault (TNS Sofres) : « Le fléchissement de François Hollande est plus une correction qu’un toboggan »

Guénaëlle Gault, Directrice du Département Stratégies d’Opinion chez TNS-Sofres, décrypte pour www.election-presidentielle.fr le contexte politique à moins de six mois de l’élection présidentielle. Elle est l’auteure de « Pour en finir avec la politique à Papa : les trentenaires prennent la parole » (Seuil) et intervient chaque semaine dans CQFD, l’émission de décryptage de l’actualité politique de i-Télé.

1- A moins de six mois du second tour de l’élection présidentielle, le désir de politique chez les électeurs semble atteindre des niveaux particulièrement élevés. N’est-ce pas pas paradoxal dans un contexte de forte défiance à l’encontre des élites politiques ? Comment l’expliquez-vous ?

En effet, à six mois de l’élection présidentielle, plus d’un Français sur deux (55%) déclare s’intéresser à la politique, ce qui est particulièrement élevé si l’on compare, par exemple, avec ce que nous mesurions à la même période avant l’échéance de 2007 (45%, soit 10 points de moins) ou même à quelques semaines du scrutin de 2002 (41% soit 14 points de moins). Et pour autant, vous avez raison, d’autres indicateurs montrent dans le même temps que la défiance, qui n’a d’ailleurs cessé de progresser ces dernières années, est très élevée vis-à-vis des dirigeants politiques, ce qui qui peut paraître paradoxal.

En réalité je pense que le contexte y est pour beaucoup. Je rappellerais juste un chiffre issu de l’enquête Trielec : 78% des Français nous disent être d’accord avec le fait que chaque mois, on se demande comment on va faire pour tout payer dont 45% sont tout à fait d’accord… ils étaient 28% en juin 2010 ! Comment ne pas s’intéresser à la politique dans le contexte actuel de rebondissement de la crise où chaque décision est directement perçue comme pouvant impacter concrètement le pouvoir d’achat des Français ? Au moment où les risques de récession sont tels qu’ils font craindre pour leurs emplois ? Et où, plus que jamais, les Français comptent sur le modèle social pour faire bouclier, tout en sachant et acceptant le fait qu’il faudra aussi faire des économies ?

Alors défiance vis-à-vis des dirigeants : oui. Mais aussi intérêt fort vis-à-vis des conséquences des échéances à venir, des choix faits et à faire. Intérêt sur le fond en fait. On retrouve là la dualité du terme politique, la dichotomie entre ce que les anglais appellent politics – la politique proprement dite et policy – les politiques publiques. La rencontre qu’il y aura – ou pas – entre les deux durant la campagne – comme elle a d’ailleurs pu avoir lieu après la primaire socialiste dans la foulée de laquelle nous avons mesuré ce fort intérêt – sera déterminante.

2- Une récente enquête TNS-Sofres pour Trielec 2012 tend à démontrer que sur certains enjeux, les électeurs font preuve d’un libéralisme nettement plus prononcé que la majorité présidentielle, notamment sur le vote votre des étrangers aux élections locales. Pour autant, un Français interrogé sur deux estime qu’il y a trop d’immigrés en France. Que conclure de cette contradiction apparente ?

Sur ces deux sujets précis, il n’y a pas forcément contradiction : dans un cas, on peut souhaiter l’équité de traitement, l’intégration voire l’assimilation des personnes résidant sur le territoire depuis longtemps, en revanche, s’agissant du nombre d’immigrés (terme par ailleurs assez négativement connoté) il peut, pour certains, être difficile d’assumer le rejet de la formulation proposée (répondre : non, je ne suis pas d’accord avec la phrase il y a trop d’immigrés en France ), et prendre le risque d’induire en creux le souhait d’une relance de l’immigration que, surtout dans un contexte socioéconomique très dur, personne ne souhaite vraiment.

Cela étant, globalement oui, vous avez raison, les Français font preuve de plus d’ouverture que de fermeture sur ces sujets, comme sur l’homosexualité par exemple. Mais il y a tout sauf consensus. Ce sont des questions qui clivent particulièrement l’opinion. En la matière les plus jeunes se montrent nettement plus ouverts que les plus âgés, de la même façon les catégories supérieures s’opposent aux catégories populaires et les sympathisants de gauche aux sympathisants de droite. Quasi bloc à bloc. Les candidats à la Présidentielle vont être très attentifs à ces dissonances afin de cibler au mieux leurs propositions et leur communication. De toutes évidences, Nicolas Sarkozy a intérêt à se repositionner et se durcir sur ce sujets pour consolider son assise électorale pour conforter son cœur de cible qui, précisément, est pour beaucoup constitué des segments les plus âgés. Et aller mordre, aussi, sur l’électorat populaire du FN.

3- La campagne de François Hollande semble susciter quelques interrogations, y compris dans son camp. Votre étude démontre pourtant qu’à l’issue de la primaire il bénéficiait de traits d’image particulièrement positifs, y compris sur sa stature de chef d’Etat. Est-ce la fin de l’état de grâce pour le candidat socialiste désigné ?

La séquence récente est compliquée pour le candidat socialiste. Couronné par une primaire qui fut elle-même un succès, il a assez logiquement connu tout de suite après ce que vous appelez un « état de grâce ». Très vite ensuite, la crise européenne a percuté cet épisode et la majorité présidentielle en a profité pour reprendre la main et l’attaquer sur le revers de la médaille de son succès : la qualité de rassembleur n’induit-elle pas en contrepartie des interrogations sur son volontarisme, une certaine faiblesse quant à sa capacité de trancher, de décider, pourtant essentielle en temps de crise ? Autant d’éléments qui, a contrario, forment le substrat de la probable candidature Sarkozy.

De façon plus conjoncturelle, les négociations entre le PS et EELV ont également été rudes, opaques et ont laissé des traces momentanément négatives dans l’opinion.

Pour autant, le fléchissement actuel de François Hollande est tout de même plus une correction qu’un toboggan. Il conserve une stature présidentielle et trois dimensions qui sont extrêmement importantes et différenciantes par rapport au Président actuel : la confiance qu’il inspire, sa capacité à agir de façon juste et équitable et le fait qu’il incarne le changement. Et là, pour faire bref, je me contenterai de rappeler un réflexe particulièrement ancré dans nos habitudes électorales qui a conduit à remercier quasi-systématiquement les majorités sortantes depuis 1981 et qui fait sans doute que, sans réellement créer le désir en lui-même, François Hollande va continuer d’incarner une alternative enviable.

(Propos recueillis par Yves-Marie Cann)

Yves-Marie Cann  (63 Posts)

Fondateur et animateur du site. Directeur des études politiques chez Elabe, cabinet d'études et de conseil indépendant. Auparavant directeur-adjoint du Pôle Opinion-Corporate de l'Institut CSA, après sept années passées au Département Opinion et Stratégies d'entreprise de l'Ifop. Les articles publiés ici n'engagent que leur auteur.


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