Dominique Barthier

Etats-Unis

FO° Talks : Pérou en crise — Dina Boluarte destituée, José Jerí prend le pouvoir

Le producteur vidéo de Fair Observer, Rohan Khattar Singh, s’entretient avec le consultant politique Erik Geurts sur le dernier épisode de chaos politique au Pérou : la destitution de l’ex-présidente Dina Boluarte et l’ascension soudaine du président José Jerí. Leur échange décortique pourquoi la présidence péruvienne est devenue une porte tournante, comment les institutions se sont effondrées sous le poids de la corruption et de la colère publique, et ce que cette crise signifie pour la carte géopolitique mouvante de l’Amérique latine.

Un président chute, encore une fois

La destitution de Boluarte marque un nouveau chapitre dans le cycle sans fin d’effondrements politiques au Pérou. Depuis 2016, le pays a connu six présidents : Pedro Pablo Kuczynski (juillet 2016 – mars 2018), Martín Vizcarra (mars 2018 – novembre 2020), Manuel Merino (novembre 2020), Francisco Sagasti (novembre 2020 – juillet 2021) et Boluarte (décembre 2022 – octobre 2025). Chacun est tombé soit par un scandale, soit par une procédure de destitution, soit par une démission. La chute de Boluarte survient après une série d’allégations de corruption et son échec à forger une coalition fonctionnelle au Congrès. Son administration, soutiennent-ils, s’est peu à peu définie par la paralysie. Elle a perdu à la fois sa légitimité et sa marge de manœuvre à mesure que les protestations de rue se multipliaient et que les parlementaires d’opposition s’unissaient contre elle.

Le vote de destitution a été largement approuvé après des révélations selon lesquelles Boluarte aurait accepté des cadeaux non déclarés de grands groupes économiques. Or, comme l’indique Geurts, les accusations de corruption au Pérou cachent souvent des tensions structurelles plus profondes. Des gouvernements successifs ont opéré avec des mandats extrêmement fragiles, et le Congrès, fragmenté entre des dizaines de petits partis, détient un pouvoir disproportionné pour renverser les présidents. Le résultat est un système conçu pour échouer, où la faiblesse des institutions devient une arme politique.

L’arrivée de Jerí

Face à ce vide, Jerí se fraie un chemin : un député centriste encore peu connu qui a bâti sa carrière autour d’un discours anti-corruption et d’un pragmatisme de négociations. Khattar Singh interroge Geurts pour savoir si la montée de Jerí reflète une réelle dynamique réformatrice ou un nouveau remaniement tactique au sein des élites. Geurts répond que l’attrait de Jerí réside dans sa neutralité. Il n’est ni du terrain ni de l’establishment. Cette ambiguïté, soutient Geurts, lui a permis de gagner temporairement le soutien à la fois d’électeurs las et de parlementaires opportunistes.

Cependant, les Péruviens restent profondément sceptiques. Jerí hérite d’un pays épuisé par le tumulte politique, la stagnation économique et des protestations qui ont fréquemment paralysé les zones minières — essentielles à l’économie d’exportation du pays. Geurts note que le premier défi de Jerí sera tout simplement de survivre politiquement. La présidence péruvienne est devenue une coupe empoisonnée, ses occupants écrasés entre un Congrès ingouvernable et une population furieuse qui réclame le changement.

Une crise de gouvernance, pas seulement de dirigeants

Khattar Singh oriente la discussion vers le déclin des institutions. Pourquoi le Pérou n’est-il pas parvenu à produire des gouvernements stables malgré des élections régulières ? Geurts pointe une longue érosion des systèmes partidaires remontant aux années 1990, lorsque le président Alberto Fujimori a démantelé les structures politiques traditionnelles. Depuis lors, les Péruviens ont voté pour des personnalités plutôt que pour des partis, donnant lieu à des parlements fragmentés et à des mandats faibles.

Geurts soutient que ce qui ressemble à de l’instabilité politique est en réalité une défaillance chronique de la gouvernance. Les présidents manquent de coalitions disciplinées pour faire adopter des réformes, tandis que le Congrès prospère par l’obstruction et des accords à court terme. Chaque nouvelle administration promet de s’attaquer à la corruption, pour se retrouver ensuite piégée dans le même réseau de clientélisme et d’impunité. La confiance publique, déjà fragile, s’effondre davantage à chaque destitution. Le tumulte récurrent, dit-il, témoigne d’un État cassé.

Répercussions géopolitiques

Les turbulences internes du Pérou ont également attiré l’attention des puissances étrangères. Les États-Unis perçoivent le Pérou comme un allié clé pour la stabilité régionale et les chaînes d’approvisionnement minières, tandis que la Chine demeure le plus important investisseur dans les infrastructures et les secteurs miniers du pays. Geurts remarque que chaque crise de leadership à Lima soulève des questions sur l’endroit où se noueront les futurs contrats et les fidélités. Washington et Pékin rivalisent, précise-t-il, de manière discrète par le biais de prêts, de commerce et de pressions diplomatiques plutôt que par des confrontations ouvertes.

Les pays voisins suivent également la situation de près. La Bolivie, le Chili et le Brésil dépendent tous de réseaux d’approvisionnement transfrontaliers stables. À chaque effondrement gouvernemental, les investisseurs se montrent nerveux et les capitaux fuient. Khattar Singh souligne que cette volatilité affaiblit la crédibilité de la gouvernance démocratique dans la région, renforçant le cynisme quant à la capacité des élections d’apporter un véritable progrès.

José Jerí peut-il briser le cycle ?

À mesure que la discussion se tourne vers l’avenir, Khattar Singh et Geurts s’accordent à dire que Jerí fait face à un exercice d’équilibre quasi impossible. Le nouveau président doit restaurer sa crédibilité auprès du public tout en négociant avec le même Congrès qui a déposé son prédécesseur. Geurts doute qu’un président puisse gouverner efficacement sans réforme systémique — réduire le pouvoir sans contrôle du Congrès, renforcer les partis politiques et refondre les lois sur le financement des campagnes. Toutefois, il concède que même de modestes gestes en faveur de la transparence pourraient gagner du temps à Jerí.

Conclusion de l’entretien sur une note sobre. Les troubles du Pérou ne sont pas l’œuvre d’un seul dirigeant corrompu, mais le produit de décennies d’érosion institutionnelle. Que Jerí persévère ou tombe, la stabilité restera hors de portée tant que le pays ne rebâtira pas les fondements de la confiance démocratique.

[Lee Thompson-Kolar a édité ce texte.]

Les opinions exprimées dans cet article/à propos de cette vidéo sont propres à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale de Fair Observer.

La publication FO° Talks : Peru in Crisis: Dina Boluarte Impeached, Controversial José Jeri Takes Power est apparue pour la première fois sur Fair Observer.

Dominique Barthier

Dominique Barthier

Journaliste passionné par la vie publique, j'explore les rouages de la politique française depuis plus de dix ans. J’ai à cœur de rendre l'information accessible, rigoureuse et engageante pour tous les citoyens. Chez ElectionPrésidentielle.fr, je décrypte l’actualité avec une exigence constante de clarté et d’indépendance.