Dominique Barthier

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Les idéologies ont envahi l’économie : un appel à une réflexion innovante et créative pour sortir de la crise

L’économie a récemment perdu de sa crédibilité. Tellement, en fait, que l’Université de Yale Presse a publié Ce qui ne va pas avec l’économie, un ouvrage de Lord Robert Skidelsky. Ce célèbre historien économique britannique, connu pour son érudition riche et colorée, a constaté qu’« une vision réductrice et une convergence vers une orthodoxie malsaine » ont mené à des conséquences désastreuses pour les sociétés qui ont suivi des modèles économiques souvent défectueux.

Après la chute de l’Union Soviétique en 1991, il est désormais évident que le communisme ne fonctionne pas. La Révolution russe de 1917 promettait une société égalitaire sans propriété privée, mais elle a donné naissance à une économie dirigée par des apparatchiks où la file d’attente pour le pain était monnaie courante. Il ne faut pas non plus oublier la collectivisation forcée opérée par Joseph Staline, qui a causé la mort de millions de personnes. De même, le Grand Bond en Avant de Mao Zedong a été une catastrophe encore plus grande.

Si le communisme a montré son inefficacité, son aspect autocratique et sanglant, le capitalisme n’a pas non plus été exempt de critiques. La première entreprise par actions au monde fut la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, créée en 1602. La plus prospère de toutes reste la Compagnie britannique des Indes orientales, qui conquit la majeure partie du sous-continent indien, colonisa des régions d’Asie du Sud-Est et prit le contrôle de Hong Kong. À son apogée, cette compagnie employait 260 000 soldats, soit deux fois plus que l’armée britannique.

Aujourd’hui, aucun pays ne pratique un capitalisme ou un communisme purs. Les États-Unis, généralement considérés comme un modèle capitaliste, disposent d’un système de sécurité sociale, tandis que la Chine communiste voit naître des milliardaires s’engageant dans des activités innovantes, parfois considérés comme des licornes. La question de la manière dont les gouvernements doivent intervenir dans le marché reste complexe. Quel rôle doit jouer l’État ? Si intervention il doit y avoir, à quelles fins ? Le business ne se limite-t-il qu’à la maximisation du profit pour ses propriétaires, comme le soutenait Milton Friedman, ou les entreprises ont-elles aussi une responsabilité sociale ?

Qu’entend-on par “développement” ? Ce terme est fréquemment employé, mais qu’englobent réellement ces notions ? Quelles politiques et quelles institutions peuvent encourager le développement, et en quoi celui-ci varie-t-il selon les pays ? Quel rôle jouent le commerce extérieur et l’investissement étranger ? Quand ces derniers renforcent-ils des relations de dépendance et d’exploitation, ou au contraire, créent-ils des emplois et stimulent-ils la croissance ? Comment répartir le pouvoir entre acteurs privés, État-nation et institutions internationales ? Devons-nous privilégier l’efficacité ou l’équité ? L’environnement doit-il être pris en compte dans nos modèles économiques ? Qu’en est-il des droits des travailleurs ? Si ces éléments sont importants, comment les concilier avec la croissance économique ? Faut-il, enfin, remettre en question le dogme même de la croissance ?

La grande crise financière de 2007-2008, ainsi que l’évolution post-COVID, ont mis en lumière les limites du modèle américain. San Francisco, par exemple, où siègent Twitter et Uber, peut aussi ressembler à une version moderne de Gotham City, avec des sans-abri sous tente et des aiguilles jonchant les rues. La révolution de Ronald Reagan a libéré les marchés et a conduit à l’essor spectaculaire des années 1980. Cependant, depuis 1980, le coefficient de Gini, indicateur de l’inégalité, n’a cessé de grimper, y compris dans des pays comme la Suède, alors que de nombreux États ont adopté des politiques économiques inspirées de Milton Friedman.

L’État américain, s’il est imparfait, n’est pas le seul à connaître des difficultés. L’Europe aussi doit faire face à ses défis. La crise de la dette souveraine dans le sud de la zone euro constitue une bombe à retardement. Les dépenses publiques dépassent depuis longtemps les recettes fiscales, ce qui fait peser une lourde charge de dettes. La guerre russo-ukrainienne a enflé l’inflation mondiale et provoqué une hausse des taux d’intérêt. La fragilité économique des pays méridionaux européens s’intensifie, tandis que l’expérience de l’euro sera mise à rude épreuve. Même les grandes économies comme celles de l’Allemagne et de la France seront sous pression.

En certains aspects, la France peut représenter un modèle pour l’Europe. Son économie, certes, n’est pas semblable à celle des Pays-Bas, de l’Allemagne ou de la Suisse, mais elle domine dans des secteurs comme l’aéronautique, l’énergie nucléaire et les produits de luxe. La France a maintenu une certaine fidélité aux idées de l’économiste britannique John Maynard Keynes, même si le Royaume-Uni privilégie aujourd’hui les théories autrichiennes de Friedrich von Hayek. Selon l’OCDE, en 2019, les dépenses publiques représentaient 55,6 % du PIB français. Pourtant, le taux de chômage reste obstinément supérieur à 10 % depuis 1980.

Il est désormais temps de considérer l’économie sous un nouveau jour. Pendant des millénaires, l’Orient a souvent été plus prospère que l’Occident. En Inde, la durabilité était inscrite dans la philosophie et la religion depuis la nuit des temps. Puisant dans la tradition upanishadique, Bouddha prônait la voie du milieu. Aujourd’hui, cette voie trouve à nouveau toute sa pertinence. Il est évident que des cafés gérés de manière privée fonctionnent mieux que ceux contrôlés par une bureaucratie impersonnelle. Cependant, il n’est pas certain que laisser Starbucks gérer tous les cafés soit réellement une solution idéale.

Il est important de repenser les fondements de l’économie, en intégrant des valeurs de durabilité, de solidarité et de modération. Les technologies appropriées, prônées par des penseurs comme Ernst Friedrich Schumacher dans son ouvrage Small is Beautiful, résonnent d’autant plus à l’heure de la crise climatique. Schumacher, influencé par Gandhi et JC Kumarappa, défendait une économie à taille humaine, décentralisée et respectueuse de l’environnement. Son ethos s’inscrivait dans une logique de sobriété conviviale, où chaque individu peut jouer un rôle dans la préservation des ressources naturelles finies.

Ce que nous espérons pour l’avenir pourrait être une voie médiane : une société entrepreneuriale qui cultive un véritable sens communautaire. Un équilibre entre innovation, responsabilité sociale, respect de l’environnement et cohésion sociale pourrait constituer la nouvelle voie à suivre, afin de bâtir un modèle économique plus juste, plus durable et plus humain.

Dominique Barthier

Dominique Barthier

Journaliste passionné par la vie publique, j'explore les rouages de la politique française depuis plus de dix ans. J’ai à cœur de rendre l'information accessible, rigoureuse et engageante pour tous les citoyens. Chez ElectionPrésidentielle.fr, je décrypte l’actualité avec une exigence constante de clarté et d’indépendance.