La inaction de la FIFA face à la nécessité de réformes profondes et à l’application rigoureuse de ses propres principes, règles et règlements est manifeste depuis plus d’une décennie. Cette situation est désormais largement visible, en public.
Les réponses de la FIFA face aux scandales de corruption passés, ainsi que sa propension à attribuer l’organisation de la Coupe du Monde à des États ou des gouvernements en violation de ses normes en matière de droits humains, illustrent une organisation peu disposée à opérer des changements significatifs pouvant la rendre responsable de ses actes. Ces motifs s’ajoutent aux nombreuses réformes cosmétiques répétées, qui semblent surtout destinées à apaiser les pressions publiques et commerciales en faveur de changements réels.
Les scandales et le mépris pour la Politique des Droits Humains de la FIFA, ainsi que pour son Code de Conduite, sont « seulement la partie visible de l’iceberg des problèmes du football », selon l’universitaire et professeur de droit Jan Zglinski. Ce dernier évoque, dans un rapport académique de 26 pages, une liste élargie de dysfonctionnements, comprenant des structures de gouvernance obsolètes, des déséquilibres financiers croissants et des protections insuffisantes pour les sportifs. Parmi ces enjeux pressants, certains émergent clairement.
M. Zglinski soutient que, potentiellement, l’Europe, en tant que continent pionnier dans la régulation du sport et notamment du football comme secteur économique, pourrait se positionner comme le sauveur de ce sport en difficulté.
L’Europe cherche de plus en plus à exercer un contrôle
L’idée d’une Europe contraignant la FIFA à effectuer des réformes soulève la question : une telle intervention pourrait-elle se produire ? Si l’Union européenne agissait ainsi, elle infligerait un coup dur à la FIFA et à d’autres fédérations internationales, tout en mettant fin à l’illusion qu’au sein du sport, politique et économie seraient totalement séparés, alors qu’en réalité ils sont indissociables.
De nombreux pays, dont la France, l’Espagne, la Pologne, le Mexique, la Corée du Sud ou encore l’Australie, ont en parallèle poursuivi des démarches visant à réglementer certains aspects de la gestion du football ces dernières années. Ces démarches portent sur la transparence, l’égalité entre les sexes, les droits des athlètes et l’intégrité sportive.
En Grande-Bretagne, pays parmi les rares à avoir privatisé la gestion de l’eau plutôt que de recourir à des partenariats public-privé, l’on voit se dessiner la possibilité d’un dispositif de régulation autonome. La Chambre des communes planche actuellement sur un projet de loi sur la gouvernance du football. Ce dernier viserait à créer un organisme indépendant chargé de surveiller les finances du football, la propriété des clubs et l’engagement des supporters. La structure proposée s’inspirerait de l’Ofwat, l’autorité de régulation des services d’eau britanniques.
L’idée centrale de cette régulation est celle d’un organisme indépendant, capable de superviser la relation entre la politique et le sport, qui ne peut être efficace que par la mise en place d’un code de conduite clair et précis. Dès lors, la question de fond est la suivante : comment séparer véritablement la sphère politique de celle du sport, en assurant une surveillance indépendante ?
Pour l’instant, les associations sportives internationales, dont la FIFA et l’UEFA, ont jusqu’à présent resisté à toute reconnaissance formelle de cette liaison, craignant de perdre leur autonomie face à une ingérence extérieure. Mais la proposition britannique, tout comme d’autres initiatives européennes visant à mieux encadrer et réglementer ces institutions, tend à faire évoluer cette situation.
Même si ces propositions restent pour l’instant incomplètes ou partielles, elles risquent de remettre en cause, de facto, la fiction d’une séparation totale entre les mondes politique et sportif. Par exemple, des mesures accrues de contrôle par le gouvernement sur la conformité de la FIFA et d’autres fédérations aux règles du marché européen ou sur leur respect des droits, pourraient renforcer cette dynamique. La mise en place d’une législation européenne spécifique, à l’image de la loi sur les services numériques ou celle sur le marché numérique, pourrait imposer notamment des normes minimales de gouvernance, telles que :
– Des élections libres et régulières
– Des plafonds de mandats pour les dirigeants
– La représentation effective de toutes les parties prenantes, y compris les femmes, les joueurs, les clubs et les supporters
– La protection et la promotion des droits des athlètes et des femmes
– Le respect strict des normes en matière de droits humains
– La séparation, dans le cas de la FIFA, entre ses fonctions de régulation et de gestion commerciale
Le mythe d’un sport sans lien avec la politique
Toute démarche de régulation menée par l’Europe ne serait, pour le moment, valable qu’au sein de l’Union européenne. Toutefois, ses répercussions risquent d’être mondiales et de renforcer la contestation du lien incestueux entre sport et politique, notamment dans des pays qui ont un rapport problématique avec ces enjeux comme l’Arabie saoudite.
Ce royaume a investi des milliards de dollars pour se donner une image sportive, malgré un bilan abominable en matière de droits humains. L’Arabie saoudite ambitionne de faire du sport un secteur économique durable, notamment pour réduire sa dépendance aux revenus du pétrole. Ses investissements et ses activités de lobbying ont permis au pays d’obtenir des droits d’organisation pour plusieurs compétitions asiatiques et pour la Coupe du Monde 2034.
« Accorder à l’Arabie saoudite tous ces contrats est une preuve qu’il n’y a aucune évaluation sérieuse des droits humains » dénonce Abdullah Alaoudh, responsable de la lutte contre l’autoritarisme au Middle East Democracy Center (MEDC).
Depuis 2017, le prince Salman al-Ouda, un savant religieux éminent mais polémique, croupit en prison. La FIFA a classé la candidature saoudienne pour la Coupe du Monde comme présentant un « risque moyen » en termes de droits humains.
Une influence mondiale qui dépasse l’Europe
Face à une vague de contentieux européens remettant en cause la gouvernance de la FIFA et de l’UEFA, les ministres européens des sports ont reconnu, l’année dernière, la nécessité d’une intervention de l’Union. Ils ont interpelé la Commission pour qu’elle protège les principes fondamentaux des « valeurs dans le sport », telles que la démocratie, l’égalité, la transparence, la mérite sportive et la responsabilité sociale.
Plusieurs recours juridique récents ont remis en question la légalité de certaines règles de la FIFA, notamment celles relatives à la résiliation anticipée des contrats, aux restrictions à la mobilité et à la concurrence, ainsi que l’usage de l’arbitrage sportif, sans parler du statut des ligues transnationales et de l’expansion de la Société mondiale des clubs, qui pourrait mettre en danger la santé des athlètes.
M. Zglinski plaide en faveur d’une législation européenne capable d’imposer des réformes et de démocratiser la gouvernance sportive. « Même si l’idée que l’UE régule davantage le football peut paraître imparfaite, c’est probablement la moins mauvaise solution », affirme-t-il.
Selon lui, l’Union européenne dispose du potentiel pour influencer positivement la gouvernance du sport à l’échelle mondiale. Une telle influence serait d’autant plus cruciale que la majorité des fédérations qui régissent le football, comme la FIFA ou l’UEFA, sont basées en dehors de l’Union. La législation européenne pourrait donc s’appliquer également aux acteurs non européens, comme l’illustrent la réglementation sur les services numériques ou les marchés numériques, qui encadrent les grands groupes technologiques, peu importe leur localisation.
FIFA et UEFA, dont le siège est en Suisse, représentatives de nombreuses fédérations internationales, pourraient ainsi voir leur gouvernance mieux encadrée. L’adoption de telles lois par l’Union européenne permettrait aussi de préserver les intérêts des plus vulnérables : évincer les pratiques abusives qui ont mené à l’éviction de communautés en Afrique du Sud ou au Brésil pour faire place aux Mondiaux, ou encore dénoncer les mauvaises conditions de travail lors de la construction des infrastructures pour la Coupe du Monde, ou les violations de droits humains, comme dans le cas de la Fédération asiatique de football qui a illégalement ignoré une condamnation judiciaire concernant une femme.
En somme, la volonté de mieux encadrer le football et de lutter contre ses dysfonctionnements croissants semble aujourd’hui à portée de main en Europe. Si cette dynamique venait à s’étendre à l’échelle mondiale, cela pourrait transformer profondément le paysage sportif, en mettant fin à l’un des grands mythes : celui d’un sport indépendant de toute influence politique et commerciale.
