Dominique Barthier

Etats-UnisFrance

Menaces imminentes pour la renaissance syrienne

Les « deux lignes rouges » avancées par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu constituent la clé de la légitimation du nouveau gouvernement syrien auprès de l’Occident : démilitarisation immédiate au sud de Damas et protection des Druzes syriens. L’issue des violences récentes à Suwayda a servi de déclencheur à des négociations menées à Paris et à Bakou au cours des dernières semaines.

Récemment, Israël a mené des frappes contre Damas après que les violences sectaires dans le sud se sont intensifiées, faisant plus d’un millier de morts, dont un ressortissant américain en visite chez ses parents dans la province de Suwayda, avant que les parties en conflit ne parviennent rapidement à briser le cessez-le-feu.

Par ailleurs, le nouvel allié américain et le président de la Syrie, Abu Mohammed al-Jolani, n’ont pas accueilli avec enthousiasme l’annonce de Netanyahu évoquant une prise de contrôle de territoires syriens au sud de Damas en raison de la violence. Des représentants des deux pays se sont récemment rencontrés à Paris pour discuter de la question, où l’unité syrienne a été jugée non négociable et les exigences de retrait israélien restaient sans réponse.

Bien que les États-Unis aient renforcé leur soutien à la renaissance de la Syrie et à leur rôle d’intermédiaire entre Israël et les parties régionales, l’envoyé spécial Tom Barrack recommande à Jolani de « réévaluer ses politiques et d’adopter une approche plus inclusive ». Cela a également suscité une déclaration générale du Département d’État américain, qui sert davantage de formalité envers les familles des victimes et d’un signal d’inquiétude grandissante au sein de diverses institutions.

En l’absence de « plan B » pour Jolani, son incapacité à maîtriser les attaques barbares contre les minorités en Syrie met directement en péril la légitimité du nouveau régime et attire les soupçons de ses partenaires nouvellement acquis à l’Ouest, entravant les éventuelles discussions de normalisation et renforçant la position défensive d’Israël face à l’alignement américain dans la région. 

Dynamiques internes

Le contrôle fragile de Jolani sur les multiples factions syriennes mine la confiance publique dans ce qui est présenté comme une trajectoire démocratique, favorise les violences à travers le pays et prouve qu’un simple changement d’image — nom, coupe et costume — n’arrache pas un passé marqué par la violence. Pour éviter le risque d’un nouveau effondrement, l’organisation terroriste Hay’at Tahrir al Sham (HTS) doit être tenue pour responsable de sa persécution des minorités et, à terme, expulsée du territoire.

Les tensions civiles dues à des dynamiques démographiques internes se traduisent par une oppression continue et par un point d’orgue imminent entre les principales factions syriennes : HTS, les Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les Kurdes et soutenues par les États‑Unis, l’Armée nationale syrienne (SNA) soutenue par la Turquie, les milices druzes et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL/ISIS).

Bien que Damas ait signé un accord prévoyant l’intégration des FDS dans de nouvelles institutions syriennes, cela peut au mieux n’être qu’un effondrement retardé, tant les appels du groupe kurde en faveur du fédéralisme et de la souveraineté peuvent être perçus par les représentants étatiques comme un mouvement séparatiste. 

En outre, les récents affrontements et les retards dans le passage de contrôle au secteur de la distribution d’énergie témoignent d’un manque de confiance dans ce nouvel accord, alors que l’instabilité continue dans d’autres régions du pays mine les perspectives. Des discussions entre Kurdes et responsables syriennes avaient été organisées à Paris ce week-end dernier, mais Damas s’est retirée à la dernière minute sous la pression turque.

À Idlib contrôlée par HTS, les clergé chrétien n’est toujours pas autorisé à se déplacer en public en tenue ecclésiastique ou avec tout signe permettant de l’identifier comme prêtre. En parallèle, la nouvelle administration a également instauré une loi obligeant toutes les femmes à porter des burkinis sur les plage et piscines publiques, signe d’un retour en arrière en matière de libertés après l’éviction d’Assad.

L’escalade mortelle entre les Druzes et les tribus bédouines locales à Suwayda a suscité une attention particulière sur la nature instable du nouveau régime. Elle a provoqué l’intervention militaire d’Israël, qui s’est soldée par l’évacuation pilotée par l’État des bédouins de la province — une réaction désespérée pour mettre fin aux attaques de Netanyahu sur Damas et préserver le peu de stabilité qui subsiste dans la région.

Des rumeurs laissent entendre qu’un comité secret, dirigé par le frère de Jolani, Kazem, travaille à la reconstruction de l’économie syrienne, alimentant les craintes qu’un autre système vienne simplement remplacer l’oligarchie d’Assad. Le comité serait toujours constitué d’entreprises et d’hommes d’affaires de l’ère Assad afin d’assurer un flux de liquidités ininterrompu et le contrôle, risquant de compromettre les chances de succès économique par la poursuite de l’hypocrisie et de la corruption.   

Impact sur la diplomatie régionale

Bien que Jolani ait mené jusqu’ici une prestation diplomatique correcte — renouvelant des liens avec l’Occident, les Nations unies et certains voisins du Golfe — l’engagement et l’investissement étrangers ne seront aussi stables que la population syrienne les rend possibles.

L’Union européenne et les États‑Unis avaient autorisé le rétablissement initial des sanctions en échange de garanties sur les droits des minorités et de la formation de rapports civils plus solides en Syrie. La Grèce et Chypre avaient initialement bloqué les efforts de l’UE pour dynamiser l’économie du nouveau régime, par crainte des exactions ethniques, des enlèvements, des arrestations arbitraires, de la torture et de la répression qui se poursuivent depuis lors. 

La France et l’Allemagne refusent de contribuer financièrement ou d’annoncer une normalisation complète tant qu’un véritable cadre politique diversifié n’aura pas été établi. Le président égyptien Al-Sissi, confronté à sa propre instabilité, reste prudent quant à la légitimation d’un nouveau Syrie de peur d’être le prochain sur la liste. 

Les Émirats arabes unis (EAU) avaient également adopté d’abord une attitude prudente pour observer l’émergence de ce pouvoir islamiste avant d’entamer des visites diplomatiques officielles. Jolani doit d’abord régler les jeux des factions en guerre et établir des libertés démocratiques, car une diplomatie extérieure ne peut réussir sans ces fondements.

La violence continue et l’intervention conditionnée par Netanyahu menacent l’engagement d’Arabie saoudite dans son récent pacte d’investissement de 6,4 milliards de dollars en faveur d’une Syrie unifiée. Les retombées de ces investissements pourraient connaître un retard similaire à celui observé lors du Conseil d’affaires saoudo-syrien, initialement prévu en juin et repoussé en raison de la guerre de douze jours.

Le retour réussi de la Syrie sur la scène internationale via la reconstruction post‑conflit dépend en partie du retour des réfugiés, qui attendent aussi des conditions sociales et infrastruturales plus stables. La normalisation avec la Syrie d’Assad et son retour dans la Ligue arabe en 2023 avaient lancé une nouvelle ère, mise à l’épreuve par le nouveau gouvernement un an plus tard.

Depuis 2011, le conflit a déplacé plus de 13 millions de personnes, laissant de nombreuses maisons et entreprises détruites et décourageant la diaspora à rentrer. Si l’investissement et l’engagement extérieurs demeurent cruciaux pour la reconstruction de la Syrie, Jolani ne pourra attirer cette réalité que s’il garantit un environnement réellement inclusif et libre pour la population locale.

Le dilemme sécuritaire d’Israël

Historiquement, Israël s’est mobilisé pour contrer les scénarios de menace sécuritaire à proximité. Or, face à la persécution actuelle des minorités dans le sud, Netanyahu doit peser les avantages d’un réengagement diplomatique contre l’isolement et les risques d’une intervention isolée sous couvert de sécurité nationale d’Israël. Le fragilité interne sous Jolani complique davantage la sécurité d’Israël et renforce sa position défensive au sud de la Syrie, nourrissant les efforts de réévaluation militaire et mettant en péril les négociations de normalisation qui avaient été envisagées lors de l’espace aérien emprunté durant la Guerre des Douze Jours.

Les exécutions broadcastées dans tout le pays compliquent aussi les relations nouvellement établies de la Syrie avec les États‑Unis et le bloc occidental, poussant l’ONU à publier une mise en garde dénonçant ces exécutions sommaires, seulement quelques mois après avoir accueilli l’envoyé spécial Bassam Sabbagh lors d’un briefing devant le Conseil de sécurité.

Les promesses précoces de Jolani en matière de modération et d’inclusion dans la Syrie nouvelle ne se sont pas encore concrétisées, son gouvernement apparaissant clairement comme tendant vers une direction opposée. L’idée largement médiatisée de créer un système « sans un seul dirigeant prenant des décisions arbitraires » s’est dissipée dès qu’il a pris le contrôle de chaque pilier du gouvernement, en faisant adopter une Constitution « intérimaire » qui lui confère des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires pour une durée de cinq ans.

Jolani doit désormais contenir ses homologues de la HTS dans leurs carnages afin d’instaurer une stabilité véritable, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. Sans stabilité à domicile, le régime syrien s’expose à l’isolement international et à des retombées régionales — alors même que son instabilité pousse une réévaluation militaire israélienne et réserve un avenir incertain pour les perspectives de normalisation.

[Liam Roman edited this piece.]

Dominique Barthier

Dominique Barthier

Journaliste passionné par la vie publique, j'explore les rouages de la politique française depuis plus de dix ans. J’ai à cœur de rendre l'information accessible, rigoureuse et engageante pour tous les citoyens. Chez ElectionPrésidentielle.fr, je décrypte l’actualité avec une exigence constante de clarté et d’indépendance.