Dominique Barthier

Etats-Unis

Opération Lion Montant à Marteau de Minuit : Pourquoi les États-Unis et Israël misent gros face aux ambitions nucléaires de l’Iran

Le 13 juin 2025, Israël a lancé l’opération Rising Lion, une initiative audacieuse visant à neutraliser les capacités nucléaires et l’infrastructure stratégique de l’Iran. Cette offensive a porté des coups particulièrement sévères au site nucléaire de Natanz, endommagé la centrale de conversion d’uranium d’Isfahan et attaqué le complexe de missiles de la Garde révolutionnaire islamique iranienne (IRGC), entraînant la mort d’un haut responsable de l’IRGC. Contrairement aux opérations précédentes, souvent limitées, Rising Lion marque un tournant vers des frappes préventives de haut risque, conçues non plus pour retarder ou entraver, mais pour paralyser le programme nucléaire iranien. Ce choix stratégique a presque précipité une confrontation totale entre les deux nations, à la limite d’un conflit ouvert.

Neuf jours après ces opérations, les États-Unis ont emboîté le pas en lançant leur propre offensive militaire, l’Operation Midnight Hammer, visant plusieurs sites nucléaires clés en Iran, notamment Fordow, Isfahan et Natanz. Ces attaques, présentées comme un moyen de dissuasion et de containment, auraient causé des dommages significatifs à l’infrastructure nucléaire iranienne, même si Téhéran affirme que ces dommages restent superficiels.

Plusieurs analystes spécialisés en renseignement open source (OSINT) avancent que l’Iran aurait anticipé ces frappes en déplaçant une partie de ses réserves d’uranium, notamment avant l’attaque. Notamment, le vice-président américain JD Vance a indiqué qu’après l’opération, 400 kilogrammes d’uranium semblaient avoir disparu, ce qui suscite des inquiétudes quant aux intentions futures de Téhéran.

Cependant, la véritable question ne porte pas uniquement sur l’efficacité des frappes. Elle concerne surtout savoir si ces actions parviendront réellement à contraindre l’Iran ou si elles ne seront qu’un symbole sans conséquence réelle sur ses ambitions nucléaires.

L’évolution de la stratégie de dissuasion contre la prolifération en Israël

Israël a adopté depuis plusieurs décennies une stratégie visant à perturber et paralyser les programmes nucléaires de ses adversaires considérés comme une menace stratégique pour le pays. Cette approche, souvent désignée sous le nom de Doctrine Begin, remonte aux années 1970.

Les origines de cette doctrine remontent à 1962, avec l’opération Damoclès, lorsque le Mossad a ciblé des scientifiques allemands aidant l’Égypte à développer des missiles longue portée : attaques par lettres piégées, enlèvements ou menaces contre leurs familles. Bien que discrète et controversée, cette opération a permis de freiner le programme de missiles égyptien à l’époque.

Au fil des années, cette doctrine a évolué pour viser systématiquement toute puissance hostile développant un programme nucléaire, en tentant d’empêcher l’accession à l’arme atomique par des efforts de non-prolifération et de déstabilisation préventive. Cette stratégie a été illustrée par diverses opérations : en 1981, le raid sur le réacteur irakien d’Osirak, puis en 2007, l’élimination d’une installation nucléaire naissante en Syrie lors de l’opération Orchard. Dans ces cas, Israël a opté pour des actions militaires visibles et décisives pour empêcher l’adversaire d’atteindre le seuil nucléaire.

Toutefois, la menace nucléaire iranienne a obligé Israël à réviser cette doctrine. Contrairement aux programmes irakiens et syrien qui étaient en déclin ou parallèles, le projet nucléaire de Téhéran demeure une priorité stratégiquement différente. Israël opte désormais pour une tactique consistant à retarder et à perturber le développement nucléaire iranien, sans recours immédiat à des opérations offensives ouvertes.

Ce choix est motivé par des considérations géoéconomiques et stratégiques, mais surtout par la mainmise de la puissance américaine dans la région. Les États-Unis jouent un rôle central dans la calibration de la politique israélienne vis-à-vis de l’Iran, leur alliance étant fondamentalement influencée par leur propre intérêt régional et global.

Le rôle déterminant des États-Unis dans la relation Israël-Iran

L’importance des réserves énergétiques iraniennes ne peut être ignorée : avec le deuxième plus grand gisement de gaz naturel au monde et le troisième en réserves pétrolières, l’Iran possède un pouvoir stratégique majeur. La menace de l’Iran à travers la possibilité de bloquer le détroit d’Hormuz suscite de vives inquiétudes. Ce passage maritime étroit, qui transporte environ 20 % du pétrole et du gaz à l’échelle mondiale, pourrait voir son contrôle suspendu, entraînant une flambée des prix du carburant pouvant atteindre 100 dollars par baril. Si une telle coupure aurait un impact immédiat sur l’économie mondiale, son efficacité serait limitée à long terme : bloquer cette voie aurait également des conséquences néfastes pour l’Iran lui-même.

L’ennemi principal de Téhéran réside dans son réseau étendu de filières par procuration et dans ses décennies de guerre asymétrique continue. Les attaques du 7 octobre contre Israël, par exemple, sont souvent analysées comme un signe de sa participation à une guerre par procuration. La société américaine, le Pentagone et les services de renseignement savent qu’un équilibre prudent et une modération dans le conflit avec l’Iran sont essentiels pour maintenir la stabilité dans la région. Une déstabilisation permanente pourrait mettre en péril la sécurité et l’économie occidentale, notamment en remettant en cause la stabilité énergétique mondiale.

Mais cette stratégie s’est révélée historiquement incomplète, voire contre-productive.

Les échecs historiques de l’approche américaine envers l’Iran

Depuis ses débuts, la politique américaine dans la région cherche à contrôler l’influence des puissances rivales par une politique de balancier offshore, empêchant toute domination exclusive du Golfe riche en hydrocarbures. La première étape significative fut le renversement de Mohammad Mossadegh en 1953, lors d’un coup d’État orchestré par la CIA, qui a permis de remettre au pouvoir le régime pro-occidental.

Tout au long des années 1960 et 1970, Washington a renforcé le positionnement stratégique d’Israël dans la région, tout en invoquant la Doctrine Eisenhower pour justifier l’ingérence militaire contre les menaces communistes, comme lors de l’intervention au Liban en 1958. Après la révolution islamique de 1979 et la crise des otages, une nouvelle orientation vers une politique de containment plus agressive émergea, notamment avec l’intervention au Liban en 1982-84. La politique américaine devint alors plus offensive.

La guerre Iran-Irak fut davantage une lutte pour la domination régionale qu’un simple conflit territorial. La révolution islamique en Iran annonça la montée en puissance de la région de la « ceinture chiite », ce qui alarma Saddam Hussein et mit à mal l’influence américaine. En soutien à l’Irak pour freiner la progression iranienne, Washington a oublié ses principes en mars 1991, lorsque Saddam envahit le Koweït, déclenchant la guerre du Golfe. L’objectif américain de maintenir l’équilibre entre Iran et Iraq s’est retourné contre lui : en cherchant à contenir l’Iran par l’Irak, il a involontairement renforcé la menace régionale et fragilisé sa position. Ce fut sans doute la première grande erreur stratégique des États-Unis au Moyen-Orient, amorçant une période d’instabilité chronique.

Face à l’échec, Washington a multiplié les mesures : la politique dite du « double containment » (contenir à la fois l’Iran et l’Irak) est instaurée en 1993. Bien qu’efficace tactiquement pour faire pression, cette politique s’est révélée stratégique à long terme défaillante. L’Irak a peu à peu affaibli, mais l’Iran a pu, par ses réseaux de proxies chiites, accroître son influence dans la région, alimentant conflits et ingérences. Par ailleurs, la présence militaire américaine dans la péninsule arabique, notamment en Arabie Saoudite, a nourri le sentiment d’aliénation et de ressentiment, culminant avec les attaques du 11 septembre 2001 et les attentats de Riyad en 2003, ciblant l’occident et ses alliés. Sanctions et stratégies de changement de régime n’ont pas permis d’obtenir des résultats décisifs, révélant la faiblesse des analyses géopolitiques américaines et leur méconnaissance des dynamiques régionales.

Ce rejet du statu quo a conduit à plusieurs révisions de la politique au fil des années, en insistant davantage sur la diplomatie et la gestion limitée des crises. Toutefois, le bilan reste mitigé, et le risque d’erreurs graves demeure.

Pour éviter un conflit total avec l’Iran, Washington a opté pour des actions clandestines. En 2006, elle a lancé une opération cybernétique sans précédent, l’Operation Olympic Games, visant à saboter le programme nucléaire iranien. Bien que présentée comme une démarche pour freiner la prolifération sans guerre ouverte, cette opération aurait également servi à convaincre Israël d’investir moins dans des actions directes. Elle a marqué un tournant en influençant la lame de fond des politiques israéliennes, prélude à une série d’assassinats ciblés contre des scientifiques nucléaires iraniens, notamment celui d’Ardeshir Hosseinpour, en 2010, puis d’autres experts clés.

En 2016, l’accord sur le nucléaire Iranien, le JCPOA, a permis de limiter le programme nucléaire en échange de levées de sanctions. Destinée à apaiser la région, renforcer la coopération économique et accroître l’influence américaine, cette entente a suscité l’opposition féroce d’Israël, qui craignait que ses bénéfices ne permettent à l’Iran de renforcer ses systèmes de sécurité et ses réseaux clandestins, notamment pour avancer vers le nucléaire militaire.

Malgré la résistance israélienne, le JCPOA est entré en vigueur début 2016. Son existence a eu un effet dissuasif, comme en témoigne la forte baisse des activités nucléaires clandestines post-2016. Mais en 2018, le retrait des États-Unis sous l’administration Trump, la reprise des sanctions et la montée du régime américain ont relancé des tensions. Israël a réactivé ses opérations clandestines, notamment en 2020 lors d’une cyberattaque présumée contre des sites nucléaires iraniens, puis, surtout, avec l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh en 2021, chef du programme nucléaire iranien.

Pourquoi Israël a cherché à paralyser l’Iran avec l’opération Rising Lion

Après les attaques du 7 octobre contre Israël et l’effondrement du régime syrien d’Assad, le Moyen-Orient est entré dans une nouvelle phase d’instabilité. Dans ce contexte, la nouvelle administration américaine, sous Trump puis Biden, a tenté de repasser d’une politique de « pression maximale » à une approche plus diplomatique afin de traiter avec l’Iran. Deux objectifs majeurs se sont dessinés : pousser l’Iran à démanteler son programme nucléaire — pour garantir la stabilité régionale — et tenter de décrocher un succès diplomatique en proposant une alternative plus forte au JCPOA.

Cependant, Téhéran a réclamé des conditions inacceptables : limiter, et non démanteler, son programme, tout en exigeant la levée des sanctions. La négociation est rapidement devenue une impasse. Trump a menacé de frappes aériennes si un accord n’était pas trouvé, ce qui a accentué la tension.

Ce contexte a suscité une grande appréhension en Israël. Le pays craignait que cette dynamique n’allonge inutilement le délai pour que l’Iran atteigne l’arme nucléaire, notamment parce qu’en mars 2025, Téhéran avait déjà enrichi l’uranium à 60 %, très proche du niveau requis pour fabriquer une bombe. En quelques semaines, l’Iran pourrait avoir les rudiments d’une arme nucléaire, le tout en à peine une année. Deuxièmement, Israël redoutait que l’Amérique ne lève un mauvais compromis, ou un accord faible, pour faire vite preuve de succès diplomatique. Selon plusieurs sources, le Mossad a eu beaucoup de mal à convaincre Washington des risques associés à une négociation avec l’Iran. Cette méfiance grandissante a incité Israël à réévaluer sa posture militaire vis-à-vis de Téhéran.

Désormais, Israël n’a plus pour objectif de simplement perturber le programme nucléaire iranien, mais cherche à le paralyser, à la manière de ce qu’il a fait avec l’Irak et la Syrie.

Lors de l’opération Days of Repentance en 2024, Israël a ciblé plusieurs sites stratégiques et militaires, en restant relativement limité sur le front nucléaire, en ne touchant qu’une petite installation de recherche nucléaire à Parchin. Mais dans la nouvelle opération Rising Lion, les frappes ont été beaucoup plus violentes et ciblées : Israël a attaqué directement des sites nucléaires clés. La différence est frappante : la volonté d’obtenir un effet dissuasif immédiat, de couper court aux stratégies d’achat de temps de Téhéran, et de forcer l’Iran à revenir à la table des négociations sous haute pression. En même temps, Israël veut affaiblir la position stratégique iranienne pour l’obliger à céder face aux exigences américaines et abandonner ses ambitions nucléaires.

Certaines de ces ambitions tactiques ont été atteintes, mais pour espérer un succès plus large, il faudrait que l’Iran renonce totalement à son projet nucléaire. Un changement de régime pourrait être envisagé, mais pour l’instant, la priorité pour Washington reste la stabilité régionale, même si cela implique de faire des concessions.

L’échec des frappes américaines à dissuader l’Iran

Suite aux opérations israéliennes, Washington a lui aussi frappé ses cibles, espérant à la fois dissuader Téhéran et peser dans le cadre de négociations. Mais la question demeure : cette stratégie va-t-elle réellement transformer ces gestes tactiques en gains durables ? La réponse est négative.

L’obsession iranienne pour l’arme nucléaire est profondément ancrée dans sa psyché nationale et son identité. On peut la réduire par la coercition, mais il est presque impossible de la faire disparaître entièrement. La tentative de Trump d’enrayer ce processus a été compliquée par la résilience iranienne, dont l’objectif ultime n’était pas d’importer une bombe, mais de développer la sienne.

La disparition de 400 kilogrammes d’uranium après les frappes américaines relance une série d’interrogations sur la capacité d’Iran à enrichir à des fins militaires, voire à convertir cet uranium en arme nucléaire. JD Vance a soulevé la question de savoir si l’Iran pouvait atteindre un enrichissement de qualité militaire et le transformer en bombe. Les craintes sont fondées : l’Iran pourrait, à tout moment, décider de se lancer dans une opération nucléaire sans passer par la diplomatie ni la coercition, à l’image de la Corée du Nord.

Les attaques limitées menées par les États-Unis, qui n’auraient retardé le programme iranien que de quelques mois, montrent que des gestes symboliques sans stratégie de long terme ne suffisent pas. L’Iran, malgré ces coups, persiste dans ses ambitions nucléaires et a réaffirmé sa volonté en multipliant les menaces, notamment en évoquant la fermeture du détroit d’Hormuz. La tension dans la région menace désormais la fragile trêve entre Israël et l’Iran, surtout que la relation Amérique-Israël demeure loin d’être totalement apaisée.

Dominique Barthier

Dominique Barthier

Journaliste passionné par la vie publique, j'explore les rouages de la politique française depuis plus de dix ans. J’ai à cœur de rendre l'information accessible, rigoureuse et engageante pour tous les citoyens. Chez ElectionPrésidentielle.fr, je décrypte l’actualité avec une exigence constante de clarté et d’indépendance.