Depuis le 8 décembre 2024, la Syrie a connu un bouleversement majeur avec le renversement du gouvernement dirigé par Bashar al-Assad par les forces de l’opposition syrienne. La nouvelle majorité est incarnée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe djihadiste qui a instauré un nouveau pouvoir avec à sa tête Abu Mohammed al-Jawlani. Cependant, l’espoir d’une Syrie stable s’est rapidement évanoui, la situation se dégradant à mesure que la capitale, Damas, peine à combler le vide politique et sécuritaire qui s’est créé sur plusieurs fronts. La faiblesse du contrôle exercé sur les forces de sécurité combinée à la résurgence de combattants de l’État islamique (EI) fragilise la fragile avancée d’al-Jawlani, qui n’a pas réussi à maintenir sa campagne de déclaration de paix initiale.
Les djihadistes s’attaquent aux minorités ethniques
La violence sectaire et ethnique a désormais envahi l’ensemble du territoire syrien. La retraite des forces américaines des bases proches du champ gazier de Koniko, dans la région de Deir ez-Zor et d’Al Tanf, semble avoir facilité le retour des djihadistes, notamment de l’État islamique, qui cherchent à mobiliser leurs troupes contre des minorités comme les Alaouites, les Druzes, les chrétiens orthodoxes et les Kurdes.
La première alerte s’est manifestée lors du massacre d’Alawites à Lattaquié, perpétré par les forces de sécurité d’HTS et des combattants islamistes. Plus récemment, le groupe Hayat Tahrir al-Sham et d’autres factions djihadistes se sont attaqués à des communautés minoritaires dans les quartiers périphériques de Damas et dans les régions orientales du pays. Leur objectif principal reste l’expansion de leur contrôle territorial tout en réprimant toute opposition à leur pouvoir. Damas essaie de détourner l’attention médiatique en accusant des éléments pro-Assad d’être responsables du chaos, mais les preuves indiquent clairement que des groupes extrémistes liés à HTS encouragent la violence pour asseoir leur domination.
Les affrontements entre HTS – affiliée à Al-Qaïda – et des milices Druzes ou Kurdes ont repris, notamment dans des zones sensibles comme Manbij, au nord d’Alep, mais également dans d’autres régions. Certains quartiers de Douma, notamment Jaramana, Sahnaya ou Mezzeh, sont le théâtre d’attaques ciblant spécifiquement les Druzes. La ville d’Ashrafiyah a connu récemment l’assaut de civils Druzes par des hommes armés, portant des insignes de l’État islamique sur des uniformes non identifiables, signe que la menace terroriste persiste. Par ailleurs, des éléments de l’État islamique continuent de terroriser la population civile à Lattaquié et à Alep.
Le problème s’intensifie également avec la nomination de Hatem Ihsan Fayyad al-Hayes, connu aussi sous le nom d’Abu Hatem Shaqra, à la tête de la 86e division militaire responsable de Raqqa, Deir ez-Zor et Hasaké. Ancien commandant d’Ahrar al-Sharqiya, un groupe militant soutenu par la Turquie, il a été impliqué dans des actions violentes telles que l’assassinat de la politicienne kurde Hevrin Khalaf. Il est soumis à des sanctions américaines pour ses activités, notamment plusieurs exécutions extrajudiciaires.
Ce phénomène n’est pas isolé. Partout en Syrie, des groupes armés non identifiés exécutent des loyalistes au régime d’Assad ou des milices Druzes sans passer par la justice. Par ailleurs, HTS, toujours affiliée à Al-Qaïda, continue de cibler les étudiants dans la région de Soueïda, tandis que d’autres groupes djihadistes menacent la population à Lattaquié et à Alep. Des attaques armées ont même été orchestrées contre des établissements civils, comme le restaurant Layli Al-Sharq à Damas, dont Hannaouah en a nié toute implication. Ces incidents récurrents ternissent davantage l’image de l’offensive de façade d’al-Jawlani, qui en réalité ne parvient pas à maîtriser la violence terroriste à l’intérieur de ses rangs, laissant Damas sans contrôle véritable sur ses forces paramilitaires.
Les influences étrangères et la montée de la violence militant
Au-delà des problèmes domestiques, la situation en Syrie est également alimentée par des enjeux géopolitiques majeurs, notamment dans la région orientale du pays. Les affrontements entre factions djihadistes étrangers liés à l’État islamique ont repris de plus belle dans des zones comme Soueïda, Deir ez-Zor, Hasaké et Raqqa. Ces groupes pourraient potentiellement menacer les routes de transit de gaz naturel en provenance du Qatar à destination de la Jordanie. Une telle déstabilisation aurait des conséquences dévastatrices pour les populations civiles syriennes, qui dépendent en partie des ressources qatariennes.
Les forces kurdes, notamment la Syrian Democratic Forces (SDF), soutenues par les États-Unis, restent également inquiètes pour la sécurité de leurs prisonniers dans les camps d’al-Hol et de Roj, où plus de 8 000 combattants étrangers originaires de 60 pays sont détenus. La menace d’évasions ou d’attaques visant ces camps pour libérer des combattants étrangers demeure une source d’alerte pour la communauté internationale.
La résurgence de l’activité de l’État islamique à l’étranger n’est pas passée inaperçue auprès des grandes puissances mondiales. Malgré leur retrait militaire en Syrie, les États-Unis poursuivent des opérations antiterroristes dans les régions orientales afin de neutraliser toute menace. La nouvelle administration américaine exige des comptes à HTS, en particulier en ce qui concerne la présence de « combattants terroristes étrangers occupant des fonctions officielles ». Par ailleurs, Washington reste hésitant à imposer de nouvelles sanctions contre al-Jawlani, ses alliés d’Al-Qaïda ou ses établissements.
L’ère de l’instabilité ne semble pas prête de prendre fin en Syrie. La combinaison d’un pouvoir fragmenté, d’un chaos constant, et des enjeux géopolitiques autour des routes stratégiques, maintient le pays dans une crise durable. La perspective d’un futur stabilisé demeure incertaine tant que les groupes extrémistes sont en position de profiter du vide laissé par une gouvernance défaillante.
